Une chose est de dire « je n'aime pas » ; une autre est de dire, de façon générale, que c'est mauvais. On a le droit d'aimer ou non le style d'Annie Ernaux. Il y a beaucoup d'auteurs que je n'aime pas. Je ne les condamne pas pour autant.
Quand je dis « et alors ? », je ne veux pas dire que je ne donne pas d'importance aux choix de ponctuation d'A.E. mais que j'en donne, au contraire, à la liberté qu'elle prend de ponctuer de façon inhabituelle (cf.
supra, le rapport du jury d'agreg), et que c'est précisément parce qu'elle connaît les règles qu'elle peut s'en écarter. Est-ce que cela me dérange ? Oui, peut-être, au début ou à l'occasion. De même, on peut être dérouté par les longues périodes proustiennes.
Pour en rester à la phrase qui fait l'objet de ce fil, de dirais ceci : oui, la phrase aurait été plus claire avec deux points avant « les bananes ». Oui, le sens de
bananes est littéral. Si Annie Ernaux avait glissé (ce qui m'étonnerait) le sens de
grands rires dans le contexte de la Normandie après la Libération, c'eût été un anachronisme et j'aurais peut-être, moi aussi, dit que le texte était mal écrit et peu soigné. Mais la ponctuation est simplifiée ou omise intentionnellement pour suivre les évocations qui naissent sous la plume d'A.E. et se superposent dans le souvenir. Il y a d'autres occurrences dans le texte :
De l’épopée flamboyante il ne restait que les traces grises et muettes des blockhaus au flanc des falaises, des monceaux de pierre à perte de vue dans les villes. Des objets rouillés, des carcasses de lit en ferraille tordue surgissaient des décombres.
Moi, j'aurais probablement mis une virgule après
flamboyante car je ne suis pas Annie Ernaux, et mon texte en eût été, peut-être, moins expressif.
On aime ou on n'aime pas.